Leçons tirées du naufrage du Sean Seamour II
August 6, 2007 in Leçons tirées du naufrage de Sean Seamour II, SEA
En complément du récit et en pensant à tous ceux qui préparent leurs croisières ou traversées cet automne sur la route du sud, je livre déjà les leçons tirées du naufrage de Sean Seamour II le 7 mai. Je joins aussi pour ceux qui naviguent ou ont l’intention de naviguer dans l’atlantique ouest des sources d’information que je recommande de consulter. Je suis disponible pour répondre à des questions précises sur mes équipements ou la préparation de Sean Seamour II.
Enfin, je réitère mon alerte balise en expliquant en détail les problèmes rencontrés sachant que mon cas, s’il est extrême, n’est pas un cas isolé.
Les leçons que j’en tire
- Les passages atlantiques ne se ressemblent pas, aussi il ne faut pas penser que prenant la mer dans la période la plus propice est une justification pour baisser sa vigilance. Les routeurs météo ne sont pas seulement pour la course, ils rajoutent un niveau de sécurité au travers de l’analyse d’une base d’informations presque inaccessible à bord que cela soit pour des raisons techniques et économiques.
- Tous les équipements de sécurité doivent être groupés ensemble dans la partie la plus centrale, la moins vulnérable et la plus accessible du bateau. Par gros temps tout équipier qui n’est pas indispensable sur le pont doit être sécurisé à l’intérieur là où l’équipement de sécurité est accessible en anticipation d’un évènement catastrophique. La partie la plus vulnérable d’un voilier est son gréement. Dans le cas de Sean Seamour II tous les équipements de sécurité étaient groupés au pied de la descente de cockpit sauf les combinaisons de survie rangés dans un coffre de pont à bâbord bloqué par le gréement. Si ces équipements avaient été regroupés les combinaisons auraient été enfilées après le premier chavirage, évitant ainsi l’hypothermie.
- Il n’y a pas de redondance en matière de pompe. J’avais trois pompes de cale manuelles haut débit, mais seule celle du cockpit aurait pu être utilisée car les deux en proue et en poupe étaient inaccessibles. Ici encore les pompes doivent être en position centrale et au niveau plancher le plus haut. Des pompes électrique type Rule haut débit(7m²/heure) doivent être jumelées pour ne pas être bloquées par le débris. Les nôtres devaient constamment être débarrassées de papier flottant et autre détritus qui bloquait leur fonctionnement.
- La redondance a sauvé mon équipage mais pas mon bateau. J’avais toujours considéré la deuxième balise comme un luxe, onze ans après elle testait toujours opérationnelle, la preuve en est! Cependant, si j’avais planifié cette redondance cette balise serait partie en re-certification et aurait été placée à l’intérieure prête à être utilisée. Si cela avait été le cas elle aurait été déployée et les actions requises pour sauver le bateau exécutées. La redondance est impérative, mais s’assurer que les éléments en redondance sont opérationnels est d’une égale importance.
- La fiabilité des équipements, prenant en considération que les deux balises testaient opérationnelles en réalité elles avaient tous deux des performances en deçà des spécifications. L’ACR Globalfix (même fabricant que Kannad entre autres) sortant de révision a fonctionné trente minutes; la vielle unité ACR qui testait opérationnelle n’a fonctionné que pendant 10 heures — si nous avions été 100 miles plus loin au large ces dix heures auraient été insuffisants pour guider les secours jusqu’à nous.
- Attacher et sécuriser en vue du mauvais temps sont des actions trop souvent réservées au pont et aux passages comme les capot et panneaux de descente et autres ouvrants. A l’intérieur du bateau on a tendance à immobiliser plus que sécuriser, ne prenant pas en compte l’effet généré par les chavirages sans parler d’un retournement de 360°. A commencer par les planchers, ils sont les premiers à ouvrir que cela soit sous l’effet de la gravitation ou de l’énergie kinétique que génère une lame scélérate provoquant un chavirage. La moitié de mes planchers n’étaient pas sécurisés sans parler de l’objet le plus souvent oublié, la table de carré qui s’est détachée ,cause probable de la moitié de mes dix côtes cassées. Si elle m’avait rendu inconscient ou pire mon équipage n’aurait peut-être pas survécu.
- Le Gulf Stream : s’il faut éviter de le naviguer quand la direction du courant s’oppose au vent, il va de même pour les tourbillons fréquents là où le courant est fort. J’ai quitté le Gulf Stream bien avant la tempête sans prendre en compte la taille des tourbillons dans cette partie de l’atlantique. Je les avais soigneusement évités lors de ma traversée de 1996 mais j’avais remarqué depuis leur affaiblissement dans l’atlantique nord. Si dans la nuit du 4 mai j’avais pris un cap plus à l’est j’aurai été moins affecté par Andrea. La carte de Jennifer Clark’s Gulfstream (joint plus bas) positionnant Sean Seamour II le matin du 7 mai semble confirmer cela.
- Le rangement et l’utilisation des équipements électroniques de secours vitaux doivent être réfléchis et planifiés. Sean Seamour II avait tout et plus encore, mais les scenarios qui ont définis le rangement et la sécurisation de ces équipements ne prenaient pas en compte une catastrophe de cette amplitude. Avec la perte du gréement la BLU dont l’antenne était sur pataras était in-opérationnelle, son tuner non-étanche positionné trop bas. L’antenne de secours pour la VHF ASN était bien pré-câblée mais l’antenne était introuvable après le retournement. Le téléphone Iridium aurait dû être dans un sac étanche, noyé lui aussi.
- Dans une telle situation la sécurisation du bateau doit rester la priorité court terme. Une fois la balise lancée la sécurisation du bateau était mon premier objectif en éjectant le gréement, les 100 mètres de chaine et les ancres de proue et en colmatant le passage de mât. Ces actions auraient sécurisés le bateau pour au moins une paire d’heures de plus, cela fait, la mise en route du moteur avec les batteries maison et le déploiement du deuxième ancre de mer auraient permis de reprendre le contrôle. Bien que je me sois préparé mentalement depuis des années à ce type de situation, les niveaux de panique et de traumatismes physiques ont entrainés un moment de désorientation et une focalisation sur l’équipement électronique in-opérationnelle – si ces équipement ne fonctionnent pas il faut l’accepter et maintenir ses priorités. Redondance oui mais sans la dépendance.
- Bien que beaucoup d’implication et de temps ont été alloués au briefing et démonstration des équipements de sécurité avant le départ (localisation et déploiement des pompes électrique, paillets d’abordage, re-routage des pompes manuelles et autres équipements), l’entraînement génère des réflexes supérieurs. Si j’avais été dans l’incapacité d’agir lors de cet évènement catastrophique je suis loin d’être sûr que l’équipage aurait su prendre l’initiative à temps pour assurer leur survie.
Le problème de la balise
Immédiatement après le premier chavirage, j’ai déclenché la balise. Une demi-heure plus tard, quand je suis rentré dans le bateau, je me suis rendu compte que la lumière blanche clignotante de la balise ne marchait plus, et que la luminosité du témoin baissait fortement. Je l’ai arrêtée, l’ai réinitialisée, sans plus de succès alors qu’elle avait été révisée deux semaines avant et qu’elle avait été conservée en parfait état de marche. Mais le plus grave dans tout cela, c’est que les Coast Guards ont bien reçu le signal, au début, et l’ont attribué à un autre bateau. Dans leur base de données de NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), mon numéro correspondait à un autre bateau inscrit en Alabama. Les Coast Guards ont immédiatement appelé le point de contact qui est indiqué dans la base de données, ont réveillé ce brave homme à 3 heures du matin, pour s’entendre dire « non je n’ai pas activé ma balise »,ils lui ont demandé de la récupérer et de débrancher la batterie, et le signal s’est arrêté à ce moment là – qui correspondait à l’arrêt de ma balise. Ils ont donc considéré que l’alerte était nulle et non avenue, et ont abandonné les recherches sur ce signal-là. Ce qui nous a sauvé, c’est que j’ai fait une traversée en 1996 avec un bateau précédent, qui s’appelait Lou Pantaï. Quand j’ai vendu le bateau, j’ai gardé la balise. Sur l’Océanis 44 CC, on a une capote rigide, et cette seconde balise était fixée dans son socle à bâbord, à l’intérieur de ce pare-brise. Dans le chavirage, la capote a été complètement arrachée et a coulé, et j’ai considéré que tout était parti avec, mais fort heureusement cette balise, qui avait 11 ans, s’est enclenchée hydro statiquement et a donné le signal « Lou Pantai » aux Gardes Côtes. C’est celui-là qu’ils ont cherché, et trouvé – sinon nous serions une statistique aujourd’hui, parce qu’aucun de nous n’aurait survécu.
Il y a donc eu potentiellement une double sinon une triple erreur : – la première à l’enregistrement de la balise auprès de la NOAA, qui a été fait par une société anglaise Ocean Safety Ltd;- la deuxième au niveau de la vérification par la société River Services en Géorgie accréditée par ACR Electronics fabricant de cette balise, qui l’a prononcée bonne, et enregistrée jusqu’à novembre, sa fin de période de 5 ans, alors que manifestement ce n’était pas le cas, enfin, – la troisième, sous réserve de l’expertise en cours, une défaillance de la balise. Ainsi trois questions différentes et a prime abord no liées doivent être clarifiés:
- (i) quel est la raison de la défaillance de la balise;
- (ii) comment le numéro hexadécimal propre à la balise et le bateau a pu être attribué à un bateau tiers;
- (iii) pour quelle raison au contrôle de la balise défaillance et mauvaise immatriculation n’ont été identifiés.
Chacune de ces questions aurait pu entraîner la perte d’un équipage sans parler des trois en même temps! J’espère d’ici quelques semaines fournir plus d’informations quant aux causes de ces erreurs car de l’avis des US Coast Guards et du fabricant ce problème est réel, trop de vies de marins, professionnels comme de la plaisance sont en cause.
Pour tous ceux qui voguent ou ont l’intention de voguer ans l’atlantique ouest les sources d’information suivantes sont recommandées:
Gulf Stream : J’ai mentionné dans les leçons apprises un complément des routeurs météo : Jennifer Clarks’ Gulfstream http://users.erols.com/gulfstrm/ , avec ses 26 années d’expérience comme expert du Gulf Stream pour la NOAA, elle a créé une société spécialisée sur cet “amazone” de l’atlantique que tout navigateur se doit de consulter avant de s’engager sur le Gulf Stream ouest. Ci-dessous vous trouverez la carte du 7 mai positionnant Sean Seamour II et Flying Colors, tous deux perdus dans la tempête
Vagues Atypiques :
Marins professionnels ou de plaisance deviennent de plus en plus sensibilisés aux vagues ayant des structures atypiques, généralement regroupées sous l’appellation vagues scélérates, ou en anglas Rogue, Freak Wave et une nouvelle dénomination devant ce phénomène qui semble s’amplifier : MaxWave. Les différents laboratoires qui ont contribué a une simulation de ce qui a pu arriver à Sean Seamour II et
Flying Colors sont arrivés à la conclusion d’une vague atypique probable d’un minimum de 24 mètres mais probablement 50% supérieure ayant heurté mon bateau avant de continuer en s’amplifiant sur le Gulf Stream pour chavirer Flying Colors.
Des recherches complémentaires sont en cours des deux côtés de l’atlantique, au GLERL sur la genèse et la dynamique de ces vagues, en Europe et notamment en Allemagne sur le suivi en temps réel par satellite de ces phénomènes. Sur le site de Robin Storm
http://robinstorm.blogspot.com/2007/07/reunion-island-man-yi.html vous
trouverez des informations sur toutes ces recherches et notamment le suivi
d’une vague atypique au travers de l’océan indien avant qu’il ne s’écrase sur
l’IIe de la Réunion.
Il est à espérer que d’ici quelques
années nous pourrons avoir un équipement fournissant des renseignements temps
réel sur ces menaces.
Quelques chiffres
L’évacuation
a duré 36 minutes, par un vent moyen
de 72 nœuds, vagues supérieures à 70 pieds. Le radeau a dérivé pendant
ces 36 minutes de 1,8 mille (par le commandant de l’hélicoptère des
Coast Guards). Dans
cette même tempête, le porte-container Hapag Lloyd Paris Express a
perdu 21
conteneurs alors qu’il pouvait voguer à 28 noeuds soit deux fois la
vitesse de déplacement maximale de la tempête subtropical Andrea, et le voilier Flying Colors a
disparu avec ses quatre membres
d’équipage dont deux skippers.